Le titre Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s’annonce est emprunté à un poème de Voltairine de Cleyre, féministe et anarchiste américaine. Sur du tissu imprimé de motifs floraux, j’ai représenté en noir des vols d’oiseau.La figure de l'oiseau m'intéresse car elles revêt plusieurs significations dans ma pratique artistique. Dans les toiles, les vols d'oiseaux représentent la beauté des manifestations du monde naturel et le lien étroit qu’ils tissent avec le chamanisme. Ces visions sont des phénomènes propres à être interprétées comme des messages de l’invisible.
La figure de l’oiseau nous renvoie aussi à la crise écologique. Si ces vols nous apparaissent aujourd’hui banals, ils sont en voie de disparition avec la raréfaction des oiseaux. De par leur titre, ces toiles peuvent aussi être interprétées comme une référence aux luttes sociales et à la chorégraphie qui se met en place lors de chacune des manifestations. En effet, ce qui m’intéresse dans la figure de l’oiseau, c’est qu’il peut être appréhendé tout autant comme une entité individuelle que comme membre d’un groupe, qu’il peut apparaître autant comme un être inoffensif et fragile que menaçant avec l’effet du nombre comme l’a bien souligné le film Les oiseaux d’Alfred Hitchcock qui a aujourd’hui largement irrigué notre imaginaire collectif.
Sur les dernières toiles, des taches de décoloration rappelant des formes proches du test de Rorschach structurent la toile. Le positionnement des oiseaux rejoue par ailleurs cette symétrie. Celle-ci accentue cette idée de danse et de mise en scène. Elle souligne aussi la question de l'interprétation de ces phénomènes. La javel en blanchissant le tissu évoque aussi autant l’idée de fumée, des gazs présents dans les manifestations que les nuages dans le ciel. Romain Huët dans “Le vertige de l’émeute” parle de celle-ci “comme d’une nuée ou d’un brouillard”.
"Le titre "Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s'annonce" est emprunté à un poème de Voltairine de Cleyre, féministe et anarchiste américaine. Dans cette oeuvre, Céline Tuloup évoque, avec un mélange de légèreté et de gravité, l'ornithomancie (du grec ornithos, l'oiseau, et mot anteia, la divination) ou auspice, technique divinatoire basée sur l'observation des oiseaux oraculaires, de leur vol, de leur cri, de leur emplacement dans le ciel, que l'on pratiquait chez les Etrusques, en Grèce ancienne ou encore dans la culture romaine, et dont on retrouve la trace dans l'expression populaire de "l'oiseau de mauvaise augure". Cette observation prédictive des oiseaux reposait sur la croyance que leur vol céleste les rapprochait des dieux. Les auteurs anciens s'accordent ainsi à donner à certains d'entre eux (les oiônos, souvent oiseaux de proie) cette qualité spécifique de révélation des intentions divines, bonnes ou mauvaises. Le philosophe Porphyre (IIe siècle de notre ère) disait que les oiseaux comprennent plus vite que les humains la volonté silencieuse des Dieux.
Céline Tuloup, quant à elle, joue de cette pratique oubliée. Sur le fond pastel d'un tissu aux motifs floraux, symbole de notre innocence, de notre naïveté, voire de notre incrédulité face à ce qui devrait nous alerter, elle lance une volée d'oiseaux noirs, comme autant d'alertes d'une catastrophe - écologique au premier chef - à venir, annonçant une dévastatrice tempête. Pour elle, les vols d'oiseaux restent des "messages de l'invisible", tout en représentant la beauté de plus en plus fragile des manifestations du monde naturel : la banalité d'un vol d'oiseaux est, comme eux, en voie de disparition."